vendredi 8 novembre 2013

Santé : EMDR

Article du Journal Le Devoir, novembre 2003

Femmes battues, victimes de guerre : même combat ? Oui madame ! Le stress post-traumatique n'est plus réservé aux soldats, il s'étend désormais aux traumatismes de l'enfance aussi bien qu'aux accidents et aux chocs récents. Quand on est très affecté, on peut péter les plombs sans pour autant faire une psychose. On voit un animal à la fenêtre, on lui parle quand on veut se réconforter : on n'est pas fou, on fait de la dépersonnalisation.


On peut être agressé comme si on était en dehors de soi et ne rien ressentir (par exemple, une prostituée agressée sexuellement à répétition pendant son enfance) : on parle ici de dissociation. Le médecin recommandera des antidépresseurs s'il ne connaît pas les symptômes du choc post-traumatique, passant ainsi à côté de la guérison. C'est triste.

Quand Serge Saintonge m'explique ça avec toutes sortes d'images, on est en train de parler d'EMDR, ce qui me fait penser au professeur Tournesol, vous savez : les yeux à gauche, à droite, suivez mon doigt. EMDR, c'est pour eye movement desensitization and reprocessing, une technique encore nouvelle qui se fait connaître par l'entremise de David Servan-Shreiber, qui vient donner des séances de formation de temps en temps. M. Saintonge est l'un des premiers à s'être intéressé au EMDR ; il me raconte qu'il passait pour un hurluberlu quand il en parlait à ses collègues. Ça change.

Clarifions tout de suite la question Tournesol : Serge Saintonge n'aime pas mon image. Psychologue et hypnothérapeute en plus d'être parmi les quelques spécialistes du choc post-traumatique, il me dit : « Il y a dans cette image que c'est nous qui avons du pouvoir ; mais non, c'est vous qui décidez d'entrer en hypnose, c'est de l'autohypnose qui fait réactiver un processus de guérison naturel qui est en vous. » Et nous voici en plein coeur de la philosophie de l'EMDR. Notre corps a la capacité de s'autoguérir. Il faut savoir l'aider.

Cette idée me plaît tellement ! Je voudrais tant que la médecine s'oriente vers ma capacité d'autoguérison, cherche dans cette direction qui la conduirait à la promotion de la santé. Prévenir par un mode de vie, penser l'hygiène comme une récompense d'amour-propre, éduquer aux premiers soins. Je sais que c'est une tendance : en parlant avec les gens de la Croix-Rouge, j'apprends que la Commission scolaire de Montréal propose dorénavant le programme « Secouriste averti » dans toutes ses écoles : encourageons les jeunes à se déniaiser devant un accident !

Pour revenir à l'EMDR, si vous pensez que c'est une technique rapide qui donne accès au cerveau émotionnel, efface les lésions et au revoir, oubliez ça. Le psychologue commence comme tous les psychologues : il évalue votre cas. « On ne travaillera pas l'événement traumatique d'abord. On s'assurera auparavant que vous êtes capable de trouver en vous un endroit de paix : ce sera le pont. On ne fait pas passer le matériel lourd si le pont n'est pas solide », m'explique Serge Saintonge. On remontera à votre premier souvenir, on parlera de l'image de soi, puis de l'image que l'on aimerait avoir de soi. Il y a aussi tout un protocole à suivre : donner une cote sur sept ou sur dix pour tel ou tel élément, par exemple. De son côté, le psy évalue ; c'est l'aspect technique. Mais finalement, on passe aux mouvements des yeux. « Imaginez un carrousel de diapositives, me dit le psy. Vous avez un carrousel inceste dans le cerveau et vous ne connaissez pas toutes les images. L'EMDR active l'appareil, qui se met à fonctionner avec des images qui ont un début et une fin... Ensuite, on vérifie à quel point l'image perturbe encore, on reparle de l'image positive et on refait le mouvement des yeux pour ancrer plus solidement l'image positive de soi. » Les séances terminées, vous êtes guéri. Ou, si vous voulez, dans le jargon des psys, vous avez intégré le traumatisme dans l'ensemble de votre personnalité, vous êtes en paix avec votre passé.

S'il y avait un prix Nobel de la psychologie, il faudrait le donner à Francine Shapiro, qui a inventé cette technique et réussi à la faire accepter par ses pairs. « La technique EMDR permet la connexion entre le cerveau émotionnel et le cortex. La compréhension plus récente du cerveau émotionnel nous fait saisir que c'est lui qui encaisse d'abord l'événement traumatisant », résume Serge Saintonge. L'intervenant doit connaître le syndrome du choc post-traumatique en plus de recevoir la formation EMDR. Il y aurait une cinquantaine de praticiens à Montréal et une trentaine ailleurs au Québec. Judith Black, la nouvelle présidente de l'Association canadienne de l'EMDR (emdrac.ca), recommande de choisir quelqu'un d'un ordre professionnel reconnu ayant au moins le niveau 1 de formation (il y en a deux). Un praticien certifié a... un certificat, n'est-ce pas ? Ça se demande.

Il y a des gens qui font dix ans de thérapie, qui peuvent vous expliquer le quoi du comment des noeuds... qui les angoissent et les manipulent encore. Ceux-là sont de bons candidats pour l'EMDR. On peut utiliser cette technique pour diverses pathologies : troubles d'anxiété, dépression, faible estime de soi, troubles alimentaires, douleurs chroniques, membre fantôme... Vous vous rendez compte ? Imaginez un psy formé à cette technique en résidence dans chaque maison de femmes battues... Des travailleurs de rue pourraient ramasser des gens en crise... Bon, je m'emballe. Avouez qu'il y a de quoi.


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